Le refus ou l’interruption de soins par l’infirmier libéral

Dans quelles conditions un infirmier libéral peut-il refuser ou cesser de réaliser des soins auprès d’un patient ?

1. Le principe : l’interdiction du refus de soins

La loyauté envers les patients, dont l’intérêt doit être recherché par les infirmiers, suppose de ne pas abandonner les soins et d’assurer une prise en charge complète.

Selon l’article L. 1110-3 du Code de la santé publique, un possible refus de soins « fondé sur une exigence personnelle ou professionnelle essentielle et déterminante de la qualité, de la sécurité ou de l’efficacité des soins. La continuité des soins doit être assurée quelles que soient les circonstances » .

L’article R. 4312-12 Code de la santé publique indique que « Dès lors qu’il a accepté d’effectuer des soins, l’infirmier est tenu d’en assurer la continuité. Hors le cas d’urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d’humanité, un infirmier a le droit de refuser ses soins pour une raison professionnelle ou personnelle.

Si l’infirmier se trouve dans l’obligation d’interrompre ou décide de ne pas effectuer des soins, il doit, sous réserve de ne pas nuire au patient, lui en expliquer les raisons, l’orienter vers un confrère ou une structure adaptée et transmettre les informations utiles à la poursuite des soins ».

2. L’exception : l’interruption de soins

Les motifs de refus ou d’interruption de soins

Les raisons personnelles ou professionnelles

Les articles L. 1110-3 et R. 4312-12 du Code de la santé publique prévoient pour l’infirmier la possibilité de refuser les soins pour une raison professionnelle ou personnelle, sauf en cas d’urgence et dans le respect de son devoir d’humanité.

La lecture combinée de ces articles démontre que seul un motif personnel ou professionnel qui affecterait la qualité, la sécurité ou l’efficacité de la prise en charge du patient peut justifier une interruption de soins.

Les textes n’énumèrent pas une liste de motifs mais on peut légitimement penser qu’une dégradation de la relation entre le patient et l’infirmier, une rupture de leur relation de confiance ou l’envenimement des relations entre associés ou collaborateurs pourraient justifier une décision d’interruption, puisque remettant en cause l’efficacité des soins.

Également, les risques d’atteinte à sa sécurité, par exemple, peuvent permettre au professionnel de refuser un soin ou de s’en désister. A été considéré comme légitime le refus d’une infirmière de se déplacer en zone de détention sans être accompagnée d’un membre du personnel de surveillance (CE, 15 mars 1999, n° 183545).

Également, était dans son droit l’infirmière qui a refusé de prodiguer des soins en estimant que la présence d’une caméra de surveillance installée par la famille du patient à son domicile était contraire à son droit à l’image et au respect du secret professionnel (CDPI PACA-Corse 12 juin 2019, n°19-009 à 19-012).

A titre d’information, le fait qu’un patient soit hospitalisé ne dispense pas l’infirmier de son obligation d’assurer la continuité des soins. En effet, les soins sont suspendus durant l’hospitalisation mais doivent reprendre à son terme.

Enfin, la loi permet à un infirmier d’opposer la clause de conscience afin de ne pas participer à une interruption volontaire de grossesse (article L. 2212-8 alinéa 2 Code de la santé publique) ou à une recherche sur embryon (article L. 2151-7-1 Code de la santé publique). La clause de conscience se définit comme le droit de refuser la réalisation d’un acte médical autorisé par la loi mais que le professionnel de santé estimerait contraire à ses convictions personnelles, professionnelles ou éthiques. Pour autant, dans cette hypothèse, l’infirmier doit informer le patient de son refus et doit lui communiquer le nom de praticiens susceptibles de réaliser cet acte.

Le dépassement de son champ de compétences

Par ailleurs, conformément à l’article R. 4312-10 alinéa 4 du Code de la santé publique, un infirmier doit refuser d’intervenir dans une prise en charge si cela dépasse son domaine de compétences, prévu aux articles R. 4311-1 et suivants du Code de la santé publique.

Également, en application de l’article L. 162-12- 1 du Code de la sécurité sociale, il doit refuser d’effectuer les actes qui excèdent la plus stricte économie qu’il est tenu de respecter, dans la mesure où celle-ci est compatible avec les prescriptions médicales.

L’intérêt du patient et la continuité des soins nécessitant le respect d’une procédure spécifique

Si l’interruption ou le refus de prise en charge constitue bien un droit pour les infirmiers, il doit néanmoins être mis en œuvre dans des conditions précisées à l’alinéa 3 de l’article R. 4312-12 du Code de la santé publique.

En tout état de cause, le motif ne doit pas conduire à nuire au patient et le professionnel doit rechercher toute solution pour que la continuité des soins soit assurée.

Pour se faire, en cas d’interruption ou de refus de soins, l’infirmier doit respecter la procédure suivante, prévue par l’article R. 4312-12 du Code de la santé publique :

- Le professionnel doit expliquer au patient, dans toute la mesure du possible et suffisamment en avance, pourquoi il interrompt ou refuse ses soins.

Par principe, l’infirmier donne ses motifs au cours d’un entretien individuel avec le patient. Toutefois, dans le cadre d’une situation particulièrement conflictuelle, cette information peut être réalisée par d’autres moyens comme l’envoi d’une lettre recommandée avec accusé de réception.

- Il doit ensuite s’assurer de la continuité des soins pour le patient.

Le Code de la santé publique précise sur ce point que l’infirmier doit orienter le patient vers un confrère ou une structure adaptée et transmettre toutes les informations utiles à la poursuite des soins. Le cas échéant, il doit adresser une liste des infirmiers inscrits au tableau de l’Ordre du secteur afin que la patiente et/ou son entourage puisse trouver une autre prise en charge infirmière. A titre de précision, l’infirmier doit attendre que la prise en charge soit assurée pour cesser les soins. Il ne doit donc pas se contenter d’adresser une liste d’infirmiers et cesser aussitôt la prise en charge.

Par exemple, l’infirmier doit contacter ses confrères, et le cas échéant les structures adaptées, afin de déterminer ceux qui seraient en mesure d’accueillir ce patient. Le professionnel de santé doit pouvoir prouver par tout moyen que l’orientation a bien été effectuée, reçue et comprise par le patient et/ou ses proches et/ou la personne responsable le cas échéant.

- Il doit également avertir dans les meilleurs délais le médecin traitant ou prescripteur des soins, chargé de s’assurer de leur effectivité et de leur coordination.

L’infirmier transmet au médecin désigné par le patient ou par ses proches et avec leur accord explicite la fiche de synthèse du dossier de soins infirmiers ainsi que les indications nécessaires à la continuité des soins. Il en va de même si le patient choisit spontanément de s’adresser à un autre infirmier. Dans ce dernier cas, l’infirmier devra l’indiquer dans son dossier de soins afin d’en assurer une traçabilité.

Il convient de préciser que ces dispositions s’appliquent quel que soit l’éloignement existant entre le cabinet de l’infirmier qui souhaite cesser les soins et les cabinets les plus proches.

Enfin, un infirmier qui a accepté de prendre en charge un patient sur sa demande, reste responsable de celui-ci jusqu’au moment où le patient lui-même ou le praticien décide de mettre fin à ses relations.

Le rôle de l’Ordre des infirmiers

L’Ordre évalue le respect du principe de non-discrimination dans l’accès aux soins. Il lui revient de mesurer l’importance et la nature des pratiques de refus de soins par les moyens qu’il juge appropriés (concernant les médecins, Cour d’appel de Paris, 22 juin 2017, n°15/17122).

L’Ordre peut jouer un rôle de conciliateur et aider les patients et les professionnels à trouver une solution d’entente.

En cas de plainte portée devant le Conseil (inter)départemental de l’Ordre des infirmiers, la commission de conciliation prévue à l’article L. 4123-2 du Code de la santé publique convoquera les parties dans un délai d’un mois après enregistrement de la plainte.

Si la conciliation échoue la plainte sera transmise à la Chambre disciplinaire de première instance.

En revanche, les conseils (inter)départementaux de l’Ordre ne peuvent en aucun cas contraindre un infirmier d’accepter ou de poursuivre les soins.

  • L’interdiction de refus de soins pour motifs discriminatoires

Le devoir d’humanité imposé à l’infirmier (article R. 4312-4 du Code de la santé publique) exige de lui d’adopter une attitude correcte à l’égard de tous ses patients.

De plus, l’article R. 4312-11 du Code de la santé publique, oblige l’infirmier, en toutes circonstances, à écouter, examiner, conseiller, éduquer ou soigner avec la même conscience toute personne.

En ce sens, l’article L. 1110-3 du Code de la santé publique pose le principe de non-discrimination quant à l’accès à la prévention ou aux soins.

L’infirmier ne peut en effet refuser de dispenser des soins pour un des motifs énoncés aux articles 225-1 du Code pénal tels que le sexe, les origines, la grossesse, l’apparence physique, l’état de santé, l’orientation sexuelle, les opinions politiques, un handicap, l’appartenance à une ethnie, nation ou religion.

La discrimination commise à l’égard d‘une personne physique ou morale, est punie de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

Le fait d’interrompre ou de refuser des soins pour un motif discriminatoire peut, en plus d’être une infraction pénale, constituer un manquement déontologique justifiant une sanction disciplinaire.

Que faire en cas de refus pour motif discriminatoire ?

Une procédure spécifique existe pour signaler un refus de soins discriminatoire. La victime peut contacter le Conseil (inter)départemental de l’Ordre des infirmiers ou son organisme local d’assurance maladie.

En pratique, lorsque la victime de refus discriminatoire saisit l’une de ces deux instances, une commission de conciliation entre l’infirmier concerné et le patient a lieu dans les trois mois suivant la réception de la plainte afin de trouver une solution. La commission mixte est composée de deux conseillers ordinaux et de deux représentants de l’organisme local d’assurance maladie.

L’ensemble des personnes participant à la réunion de la commission sont soumises au secret. Si l’infirmier mis en cause devait être conduit à révéler des éléments couverts par le secret médical, il devra limiter cette révélation à ce qui est strictement nécessaire.

L’objet de la procédure de conciliation est de permettre aux parties de tenter de régler le différend qui les oppose avant qu’il ne soit éventuellement porté devant la juridiction disciplinaire. Chacune des parties peut se faire assister ou représenter par la personne de son choix. Un mandat doit être établi en ce sens et remis à la commission.

Deux issues sont possibles :

  • Les parties parviennent à trouver un accord. Un procès-verbal de conciliation leur est remis ou adressé. Il est signé par les parties ou leurs représentants et par les conciliateurs. Le Conseil (inter)départemental conserve la possibilité de traduire le professionnel devant la Chambre disciplinaire de première instance, s’il estime que les faits reprochés constituent une faute déontologique.
  • Les parties ne parviennent pas à trouver un accord sur tous ou partie des griefs reprochés à l’infirmier. Un procès-verbal de non-conciliation ou de conciliation partielle leur est remis ou adressé. Il est signé par les parties ou leurs représentants et par les conciliateurs. Le Conseil (inter)départemental transmet la plainte ainsi qu’un avis motivé sur la plainte à la Chambre disciplinaire de première instance compétente dans un délai de trois mois à compter de l’enregistrement de la plainte. Le Conseil (inter)départemental peut décider, par délibération, de s’associer à cette plainte.

Pour être aidé dans les démarches à suivre, la victime de discrimination a la possibilité de faire appel à une association agréée ayant une activité dans le domaine de la santé. Une liste de ces associations est disponible sur le site du ministère de la Santé et de la prévention.

Si vous êtes victime de discrimination, vous avez la possibilité de saisir le Défenseur des droits. Il est également possible de saisir le Défenseur des droits. Plus d’informations, vous pouvez, cliquez ici :

Espace personnel

Mon espace membre

Si vous avez déjà un compte vous pouvez vous connecter à votre espace. Si votre compte n'a pas encore été créé, vous pouvez vous inscrire et créer votre compte rapidement.

Accéder à mon espace