Parole d'infirmiers

Témoignage - Marine, infirmière en EHPAD en Ardèche

Publié le 30 mars 2020
Mis à jour le 27 juin 2023

Paroles d’infirmiers

Au début de l’épidémie de la covid 19, nous avions souhaité lancer une série de témoignages d’infirmiers sur le terrain. 

Parce qu’il n’avait jamais été aussi important de partager ses craintes, ses doutes, ses difficultés mais aussi ses espoirs. Parce que témoigner c’était aussi permettre aux autres de se rendre compte qu’ils ne sont pas seuls à vivre cette situation. Parce que partager son quotidien c’était contribuer à la prise de conscience générale…

Ces témoignages ont permis de mieux faire connaître le rôle des infirmiers, aux quatre coins de la France, exerçant en établissement ou en ville, au plus près des patients pendant cette crise. Alors que l’épidémie se poursuit mais que les infirmiers continuent d’assurer toutes leurs missions quotidiennes, nous avons souhaité poursuivre cette série de témoignages, qu’ils soient ou non liés à la lutte contre le virus. Vous pouvez tous les retrouver sur notre chaine Youtube.

Témoignage - Marine, infirmière en EHPAD en Ardèche 
30/03/2020

Comment se passe votre quotidien ?
« Je travaille dans un EHPAD dans lequel vivent 80 résidents. Dès le début du mois de mars, nous avons commencé à avoir des cas de fièvre. A partir de la 4ème, nous avons fait une déclaration à l’ARS qui est restée sans réponse. Notre demande de confiner les résidents en chambre a été refusée. A croire qu’on ne prenait pas vraiment la mesure de ce qui se passait. Personne ne savait s’il s’agissait de la grippe ou d’autre chose. Pour mémoire, nous étions au début de l’épidémie et nous n’étions pas aussi avertis que nous le sommes aujourd’hui.

Petit à petit, plusieurs des résidents ont commencé à aller très mal. C’est une population fragile. Nous avons commencé à devoir envoyer deux résidents à l’hôpital dont l’un est décédé en moins de 48h. Trois autres résidents ont finalement pu être testés mais nous avons dû attendre les résultats pendant une semaine.
Pendant cette attente, nous sommes arrivés à 20 cas symptomatiques. On a commencé à enchainer les heures supplémentaires. Il n’y avait plus d’infirmière de nuit et on ne pouvait pas laisser les aides-soignantes seules.
L’hôpital a fini par nous indiquer que tous les résidents testés étaient positifs.
A partir de ce moment là, les choses ont un peu changé. Nous avons pu confiner les résidents en chambre. Nous avons été livrés en masques chirurgicaux (mais pas en FFP2). Nous venions de passer dix jours à travailler sans protection, simplement avec des fonds de stocks récupérés de ci de là, grâce à des collègues.   

Au total, à ce jour (NDLR le 30 mars), nous comptons 17 décès, 3 résidents sont en fin de vie à l’hôpital et 3 se maintiennent en service covid à l’hôpital. »

Quelles difficultés rencontrez-vous ?
« Ça a été très dur parce que nous avons très peu de moyens. Les médecins traitants ne voulaient plus venir sur l’EHPAD. Nous avons regardé mourir nos résidents d’OAP (NDLR œdème aigu pulmonaire), de détresse respiratoire, d’hémorragies. Il y a eu une période où nous avions deux décès par jour. Nous avions très peu de médicaments. Heureusement nous en avions gardé.

Nous avons réellement vécu 15 jours de cauchemars. Et je dois avouer que nous avons eu des moments d’épuisement et de découragement. Nous devions aussi gérer les familles, inquiètes, et qui n’avaient plus le droit de venir visiter leurs proches. Elles nous appelaient tous les jours pour prendre des nouvelles. Au final 8 collègues ont été testés positifs dans l’équipe (cuisine et soignants). Ils n’ont été testés que parce qu’ils présentaient des symptômes.  Il n’y a pas eu d’arrêt parmi les infirmières et heureusement les aides-soignants ont pu être remplacés. C’était vraiment difficile de réussir à gérer les situations de fin de vie, tout en faisant attention à ceux qui étaient confinés sans symptôme. Même la secrétaire administrative de l’EHPAD nous a aidée en s’occupant d’accompagner des patients sains sur la terrasse. Tout l’équipement que nous avons reçu est issu de dons : surblouse, charlottes. Les lunettes, nous les avons trouvées dans un magasin de bricolage. Je ne pourrai jamais assez remercier tous ceux qui nous aidés à les obtenir. »

De quoi vous auriez besoin ?
« Ce dont nous avons besoin avant tout ce sont des masques FFP2. L’ARS n’en fournira pas. Elle considère que les masques chirurgicaux sont suffisants. Nous aurions aussi besoin de médicaments, de protocoles pour les soins palliatifs. Les médecins nous ont fait des ordonnances pour que nous puissions en avoir mais il n’est pas toujours facile de s’en procurer. Il faudrait aussi élargir les dépistages. Tous les patients qui sont décédés au sein de l’EHPAD n’ont pas été testés. L’après va être compliqué à gérer, tant pour les patients que pour nous. Une psychologue va nous suivre. Il me semble que cela va être utile à beaucoup de monde.

Ce qui se passe en ce moment montre à la France que les soignants ne faisaient pas grève ces derniers mois pour leur propre personne mais pour l’ensemble de notre système de santé. La preuve est là. Avec un peu de chance, peut-être que de tout cela sortiront des réformes appropriées et qu’on arrêtera de brader la santé… »

NB : A date du 09 avril, l’Ehpad dans lequel exerce Marine compte 20 décès, 2 résidents en fin de vie et 10 personnels positifs… mais aussi un retour d’hospitalisation, guérie !! Et 2 autres qui doivent rentrer ces prochains jours.

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