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Ne plus garder le silence face à la violence

Publié le 11 juin 2025
Mis à jour le 11 juin 2025
stop violence
Pour la plupart des gens, il est impensable qu’un infirmier ou une infirmière puisse se faire agresser au cours de son exercice. Pourtant, nous, on y pense, parfois, puis on chasse vite cette idée. Et puis, on n’en parle pas. Mais cela doit cesser. On ne doit plus jamais se taire face à la violence.

C’est un petit bout de femme. La soixantaine passée. Discrète, simple, élégante. Liliane, c’est vous, c’est moi. C’est juste une infirmière libérale qui fait son taff, installée depuis 1992, auprès de ses patients dans une petite commune drômoise. Une retraite bien méritée lui tendait les bras. L’aboutissement de près de quarante-cinq ans de carrière. Et puis, le 1er janvier 2025, tout bascule. Comme chaque jour de travail, elle va de foyer en foyer apporter des soins à des personnes qui en ont besoin.

18h30. Elle arrive chez madame X. Comme d’habitude, elle traverse le couloir, passe à coté du salon et se rend dans la cuisine où elle réalise ses soins. Une glycémie, une injection, puis la préparation des traitements. Avant de quitter la maison, elle repasse par le salon et s’adresse au fils de sa patiente, installé sur le canapé. Liliane lui signale qu’il faudra aller à la pharmacie. A peine quelques mots échangés… Il lui demande avec quoi il doit y aller, elle répond « Juste l’ordonnance ».

Juste l’ordonnance… ce sont les derniers mots qu’elle peut prononcer et dont elle se souvient avant de recevoir deux violents coups à la tête. « Pourquoi ?! »… Sonnée, elle parvient à se traîner à la cuisine, à terre, dans un coin, où son agresseur s’acharne sur elle « sous le coup d’une pulsion », comme il le dira à la juge. Il lui arrache les cheveux, la roue de coups de poings, sous les yeux de sa mère, quand Liliane entend cette dernière prononcer ces mots qui lui glacent encore le sang : « Non ! pas avec le couteau !… ». Puis le temps que son agresseur se retourne, la mère glisse de sa chaise au sol. Juste un quart de fraction de seconde qui permet à Liliane de réagir, mue par un instinct de survie dont elle n’a même pas conscience… « C’est maintenant ou jamais »… Elle parvient à s’extraire de la pièce, terrorisée par celui qui hurle « je vais te crever, c’est pas la peine de t’enfuir, je t’attraperai et je vais te crever »…

« On aurait dit un chat écrasé »…

Liliane court, s’enfuit, laisse sa voiture et part au bout de la rue où elle est rejointe par une voisine qui a été alertée par les cris. Les siens, aussi, qui priaient « Non ! je veux pas crever ici », pensant ne plus jamais revoir les siens Assise sur le trottoir, transie de froid, tremblante, en état de choc, elle parvient à appeler les secours. Le permanencier du SAMU restera en ligne avec elle jusqu’à l’arrivée des gendarmes et des secours. Ce n’est qu’en voyant Franck, un des pompiers, qu’elle réalise qu’elle n’est plus en danger. Elle gardera de lui cette image du sauveur, de celui qui était, à ce moment-là, le garant de sa sécurité.
La suite, c’est les urgences, l’hôpital, les examens, les soins… Quand elle rentre chez elle, le lendemain matin, elle ne se regarde pas dans le miroir. Elle a en tête les mots de sa collègue et amie… « quand je t’ai vue, on aurait dit un chat écrasé ». Défigurée… Elle refuse de voir ses enfants pendant deux semaines, pour les protéger. Très vite, s’enchaînent des rendez-vous avec psychiatres et psychologues pour « le faire sortir de ma tête ».

Le lendemain de l’agression, le maire de la commune l’accompagne pour porter plainte et se porte partie civile à ses cotés. Une fois toutes les déclarations faites, elle signale cette agression au conseil de l’Ordre des infirmiers. Christine, infirmière et élue du CIDOI découvre ce message et l’appelle dans la foulée. Elle l’accompagnera tout le long, jusqu’au procès pour lequel l’Ordre infirmier s’est porté partie civile également.

C’est l’humain qui vient réparer la terreur

Et puis en quelques jours à peine, un réseau se crée autour de Liliane, par des rencontres parfois inattendues. Un avocat à la retraite et son épouse, qui sont auprès d’elle encore aujourd’hui, rencontrés par le plus grand des hasards le lendemain de l’agression. Et puis des collègues, des amis, sa famille qui créent autour d’elle une bulle de bienveillance. Dans tout ce qu’exprime Liliane, il y a une chose extraordinaire qui ressort de toute cette horreur: c’est le lien, c’est l’humain qui vient réparer la terreur causée par un autre être humain, ce lien tissé autour de Liliane qui lui permet de se relever et de se battre.

Le 9 avril dernier a eu lieu le procès en pénal. Très entourée, Liliane a affronté son agresseur qui ne regrette qu’une chose : « ne pas être allé au bout ». Et ces mots d’une violence extrême qui restent… « je vais te crever » …

De cette agression, elle se relève peu à peu. Avec beaucoup de force et d’humilité, et une résilience évidente. « Je crois que j’ai eu de la chance, au final. Au moment de l’agression, je me rappelle avoir eu cette pensée fulgurante et m’être dit que c’était donc ça d’être une femme battue. L’horreur, la terreur. Et comme s’il y avait besoin d’une reconnaissance dans le regard de l’autre, plusieurs femmes battues sont venues me parler suite à ça ». Liliane se reconstruit et se tourne vers l’avenir, maintenant. Cette expérience lui a appris que tout peut basculer en un instant. Elle part toujours travailler la boule au ventre, sursaute parfois, et se promène avec des sprays anti-agressions. A la question : « pourquoi raconter tout ça ? », elle répond qu’il faut que ça se sache, parce que ça arrive plus qu’on ne le croit, parce que certains n’osent pas parler, parce que la violence envers un soignant est intolérable. Parce qu’à domicile, l’institution ne nous protège pas. Parce qu’il faut trouver des solutions pour que cela n’arrive plus. Parce qu’il faut qu’on se protège, qu’on nous protège.
Au-delà de l’accompagnement à toutes les étapes de la procédure, Liliane a reçu une entraide financière de l’Ordre infirmier. « C’est une aide que personne ne connait, mais qui existe bel et bien. L’argent, au fond, ce n’est pas le plus important en soi. En réalité, cette aide, c’est une reconnaissance, de ce que j’ai subi, de ma parole, de mes blessures. C’est ça qui est salutaire ». Être reconnue comme victime, d’abord, pour se défaire de cet état, ensuite.

Le 9 avril dernier, au tribunal pénal, l’agresseur de Liliane a été condamné à 12 mois de prison avec sursis, une obligation de soins pendant deux ans et une mesure d’éloignement.

A ce jour, malgré l’obligation de soins à laquelle il doit se soumettre, il n’a pas encore été vu par les spécialistes.
Le procès en civil n’a pas encore débuté. Le combat de Liliane n’est pas encore terminé. Malheureusement, le risque d’être agressé est devenu une réalité pour les soignants. Peut-être encore plus effrayante à domicile. Nombreuses sont les infirmières libérales à y avoir pensé, sans vouloir tomber dans la psychose. Seules dans leur tournée, elles n’ont pas le cadre de l’institution pour les protéger. Elles n’ont pas l’équipe derrière la porte qui viendra au moindre cri. Et pourtant, elles continuent. Jour après jour, à l’instar de Liliane.
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