Vœux 2023 de Patrick Chamboredon, Président de l’Ordre National des Infirmiers

Vous trouverez ci-dessous le discours du Président de l’Ordre National des Infirmiers.
Madame la Ministre,
Mesdames, Messieurs les Présidentes et Présidents,
Chers Confrères, Chères Consœurs, Chers amis,
Je me réjouis que nous soyons réunis aujourd’hui, certes moins nombreux que prévu à cause des difficultés de transports, et dans un contexte de tensions économiques et sociales dont témoigne la journée d’aujourd’hui.
Je remercie tous ceux qui sont à nos côtés, car le sujet de la santé est un sujet majeur pour les Français. A l’heure où nous avons une opportunité historique de faire évoluer notre système de santé, ces vœux constituent aussi un temps fort pour la profession infirmière.
Pour les infirmiers, l’année 2022 aura été une année éprouvante. En effet, à l’issue de deux années de crise sanitaire au cours de laquelle les infirmiers ont été les premiers acteurs de la démarche « d’aller vers », pour la vaccination et la prise en charge des patients, 2022 aura été une année de crise supplémentaire :
- Crise de l’accès aux soins avec des déserts médicaux qui se multiplient, et un numerus clausus qui ne suffira pas à former suffisamment de médecins pour garantir l’accès aux soins pour tous. 6 millions de Français n’ont pas de médecin traitant, dont 600.000 patients atteints d’une ALD, et les besoins continuent d’augmenter puisque la population française vieillit.
- Crise des urgences : avec plus de 20 millions de passages par an, les services des urgences sont confrontés à un engorgement symptomatique de la crise plus générale que subissent notre système de soins et l’hôpital public.
- Crise de l’hôpital, justement, avec des services de soins non programmés qui ne peuvent plus accueillir les patients dans des conditions satisfaisantes, conduisant les soignants et notamment les infirmiers, à des cadences horaires insoutenables, à un épuisement moral et physique qui abîme leur attachement à leur travail, et nuit à la qualité des soins pour les patients.
Ces constats, l’Ordre s’est efforcé de les monitorer dans le temps et de les relayer aux pouvoirs publics tout au long de l’année 2022, pour porter la voix de la profession et objectiver le débat sur l’avenir du système de santé. L’Ordre a ainsi organisé des consultations régulières des infirmiers, avec en moyenne 70000 répondants, notamment en mai dernier à l’occasion d’une consultation détaillée sur la perception de l’offre de soins dans chacun de vos territoires. Parce que c’est bien à l’échelle de chaque territoire que se mesurent les difficultés.
En septembre dernier, l’Ordre a également publié une étude réalisée à partir de sa base de données pour établir la cartographie de la population infirmière. De cette cartographie inédite, largement reprise par les médias et analysée de près par les pouvoirs publics, deux enseignements principaux se dégagent :
- Le premier, c’est la présence d’infirmiers exerçant en libéral ou en établissement, dans chacun de nos 1663 bassins de vie, ce qui signifie que la profession infirmière est un pivot de l’accès aux soins dans les territoires
- Le deuxième, corollaire du premier, c’est la présence des infirmiers dans les déserts médicaux, là où l’offre de soins est la plus fragile, témoignant du rôle-clé joué par les infirmiers dans ces zones géographiques où la garantie d’accès aux soins n’est plus assurée
Dans ce contexte de crise, la présence de la profession dans les territoires, quel que soit le mode d’exercice, et l’implication, l’engagement, l’esprit de responsabilité des 637.000 infirmiers français ont garanti la survie, je dis bien la survie, de notre système de santé. Je pense que chacun d’entre eux, chacun d’entre nous, peut en être fier.
Mais si le système a tenu, notamment grâce aux infirmiers, le statu quo n’est plus possible. Et c’est ce constat, cette alerte, que nous avons martelée tout au long de l’année.
2022 a été une année électorale, avec une élection présidentielle et des élections législatives. Une année électorale au cours de laquelle l’Ordre s’est mobilisé, plus que jamais, pour faire entendre la voix de la profession et appeler de ses vœux les réformes indispensables pour pérenniser notre système de santé et garantir, enfin, la montée en compétences et la reconnaissance de la profession.
Ce fut le cas dès le mois de janvier, à l’occasion d’un grand colloque organisé par l’Ordre pour un système de santé plus proche, plus efficient et plus durable. Rassemblant experts du monde de la santé, soignants, parlementaires, élus locaux, chercheurs et étudiants, il a servi de socle à l’élaboration de la plate-forme de 66 propositions portées par l’Ordre auprès des candidats à la présidentielle, et relayées, grâce à nos élus, à l’ensemble des candidats aux législatives dans nos régions.
Ce fut le cas, dès la séquence électorale terminée, à l’occasion des échanges bilatéraux que l’Ordre a eus avec Monsieur le Ministre de la Santé et de la Prévention, François Braun, et Madame la Ministre déléguée à l’organisation territoriale et aux professions de santé, Agnès Firmin Le Bodo (dont je salue la présence parmi nous), afin d’engager, dès le début du mandat, les grands chantiers dont notre profession a besoin.
Nous avons réussi à acter des avancées importantes, telles que la reconnaissance du statut de « morts pour la France » pour les soignants décédés de la Covid-19, permettant à leurs enfants d’être reconnus pupilles de la Nation.
Nous avons aussi et surtout plaidé pour engager rapidement les avancées nécessaires à la reconnaissance de la profession, qui se sont traduites de manière très concrète par :
- L’accord historique du CLIO Santé pour ouvrir le chantier des transferts d’actes des médecins vers les professionnels paramédicaux, afin de renforcer la qualité et l’accès aux soins, et favoriser le premier recours infirmier. Et je veux remercier Madame la Ministre Agnès Firmin Le Bodo pour le rôle déterminant dans la conclusion de cet accord unanime, dans des conditions acceptables par toutes les parties prenantes, tout en conservant l’objectif premier d’améliorer l’accès aux soins pour les patients.
- Les dispositions adoptées dans le PLFSS, relatives à :
- L’extension de la compétence vaccinale des infirmiers à l’administration mais aussi à la prescription de vaccins – une demande appuyée de l’Ordre depuis trois ans
- L’expérimentation de la possibilité d’établissement des certificats de décès par les infirmier
- L’expérimentation de l’accès direct aux Infirmiers de Pratique Avancée pendant 3 ans, sans prescription médicale, dans le cadre d’un exercice coordonné
- La préparation d’un rapport visant la fixation d’un ratio entre le nombre de soignants et de résidents en EHPAD
- Enfin l’ouverture de la tarification des actes des Infirmiers en Pratique Avancée dans les établissements privés. - Les dispositions figurant dans la proposition de loi de la députée Stéphanie Rist :
- La prescription de produits soumis à prescription médicale obligatoire
- La mise en œuvre de la pratique avancée spécialisée ou praticienne
- L’accès direct aux IPA dans le cadre de structures d’exercice coordonné
- L’adressage par les IPA vers les infirmiers conventionnés exerçant en établissement, sans adressage préalable d’un médecin.
Même s’il y a toujours un risque que les corporatismes se réveillent, et si l’examen de la proposition de loi est toujours en cours, la progression de la première profession de santé en termes d’effectifs est désormais engagée ! La profession infirmière est prête, c’est un gage de reconnaissance et, enfin, de montée en compétences. Il ne faut pas que nous assistions à un retour en arrière !
Il faut aller jusqu’au bout, et je veux saluer ici la volonté politique qui accompagne l’examen de ce texte, avec notamment l’adoption d’amendements qui s’étendent à toute la profession infirmière, pour la permanence des soins ambulatoires d’une part, et la prise en soins des plaies et cicatrisation d’autre part.
Une volonté politique clairement exprimée à l’occasion des vœux du Président de la République aux soignants le 6 janvier. L’Ordre se félicite que Président ait porté dans son discours des principes importants, parmi lesquels :
- L’augmentation de l’offre de formation et les mesures envisagées pour fidéliser les jeunes infirmiers
- La fin de la T2A et la révision du temps de travail, service par service, dans les hôpitaux
- La possibilité que les infirmiers deviennent des professionnels de santé « référents » pour les patients
- La participation des infirmiers à la garantie d’accès aux soins pour les patients en ALD
- La montée en puissance des infirmiers en pratique avancée
- Les délégations de tâches confiées aux infirmiers, avec une échéance rapprochée, mars 2023, pour identifier les tâches concernées.
L’Ordre se félicite également que le Président ait affiché un calendrier court, parce que nous ne pouvons plus attendre.
Ces derniers jours, on a beaucoup parlé de portes et de verrous. Moi, ce que je constate, c’est que le système va dans le mur ! La clé, c’est la coopération entre les professionnels de santé.
Ces mesures, nous les avons défendues, expliquées, soutenues depuis des années, et nous continuerons de le faire car nous sommes convaincus qu’elles sont vertueuses à double titre : elles apporteront des réponses concrètes et efficaces aux patients, et elles offriront aux infirmiers des perspectives d’évolution, un concours direct aux missions de prévention et d’éducation thérapeutique, et une reconnaissance de leurs compétences.
Nous collaborerons avec le ministre de la Santé sur ce dossier, mais nous serons très vigilants à la mise en œuvre concrète de ces réformes, car nous attendons des actes ! S’il y a consensus sur le constat, puisque de l’IGAS en passant par l’Académie de médecine, tous les experts s’accordent à considérer que l’évolution des professions paramédicales est la solution pour lutter contre les inégalités territoriales et sociales en matière d’accès aux soins, la concrétisation des mesures annoncées doit être rapide, efficace, accompagnée des moyens, notamment de formation, adaptés.
Nous serons vigilants aussi, parce que la mère des batailles, pour la profession, c’est la révision du décret-socle, afin de garantir la montée en compétences et la reconnaissance de la profession. Or, si des engagements ont été pris, le calendrier annoncé, 2024, ne saurait nous satisfaire tant en termes d’objectifs que de moyens : les concertations ont déjà largement eu lieu, nous attendons à présent un projet de texte et une mise en œuvre rapides. Rappelons que la révision de ce décret a été annoncée il y a un an déjà par le Ministre de la Santé d’alors ! De tels délais sont injustifiables quand on a conscience de l’urgence de la situation.
L’ambition pour la réforme de santé doit être à la hauteur des enjeux, et ne doit plus être freinée par des lourdeurs administratives, et encore moins par des corporatismes d’un autre âge qui sont de moins en moins compris par la population, et par les jeunes générations de médecins. Ceux-ci ont travaillé main dans la main avec les infirmiers pendant la crise Covid et ils n’entendent pas voir la médecine effectuer un retour en arrière de vingt ans !
Vous le voyez, chers consœurs et confrères, les enjeux qui sont devant nous ne sont pas des moindres. C’est sans doute en 2023 que nous concrétiserons des années de mobilisation. Pour cela, j’ai besoin de votre soutien, pour que la détermination et l’ardeur que nous mettons pour vous faire aboutir ces chantiers majeurs pour la profession infirmière soient couronnées de succès.
Au nom du Conseil National de l’Ordre des Infirmiers, je présente mes meilleurs vœux à l’ensemble des infirmiers et infirmières de métropole et d’outre-mer, aux élus qui donnent de leur temps pour vous représenter, et à l’ensemble de nos partenaires qui œuvrent, à nos côtés, à la valorisation et au rayonnement de notre métier.
Bonne année 2023 !